jeudi 8 novembre 2007

Quelle réalité ?


La perception de la réalité est subjective, car elle est le lien entre notre esprit, et la matière.
Pour Berkeley (*1), philosophe idéaliste, le monde que nous discernons n’existe pas en tant que tel, puisque ce n’est qu’une représentation qu’on s’en fait. Chaque personne a donc sa propre évidence, sa propre vision.
Pourtant la seule chose qui soit sûr, c’est les idées et la pensée. Pour Platon elles font parti du monde intelligible, par opposition au monde visible. C’est grâce à cela que l’homme peut accéder à un niveau de conscience supérieur, et s’approcher de la connaissance absolue.
Tout le monde n’a pas vocation à vouloir atteindre ce but, ou du moins d’essayer en toute modestie de s’en approcher, c’est pourquoi la société a fait le choix de l’hyperréalité (*2), pour avoir une réalité commune et partagé.

Pour que nous puissions vivre dans le même monde, il est impératif qu’il n’y ait qu’une seule réalité, qu’elle ne puisse pas être discuté, et doit bien évidemment être admis par le plus grand nombre.
La seule réalité adopté par la société sera le point de vu prépondérant dans la majorité de l’opinion. Qu’elle ne soit pas ou peu débattu, car il faut donner l’illusion d’avoir un avis objectif en écoutant la mouvance minoritaire avec des arguments les plus pauvres. La démocratie donnant le pouvoir au groupe dominant, voilà comment elle acquiert sa légitimité, par ce sacro-saint principe.
Cette réalité partagée, n’est pas fausse en vérité, mais n’en est pas plus juste. C’est l’interprétation à un instant « T » d’un fait passé, dogmatisé. Le temps et les avis changeant, il est nécessaire de s’arrêter sur une photo pour débattre. Cette photo est une représentation de la réalité, et par définition un reflet, une image, un référentiel appartenant au monde visible. Pour Baudrillard le monde dans lequel nous vivons a été remplacé par une copie du monde.

Toutes les disputent et les discordent viennent de ce fait, car il faudrait préciser dans quelle réalité on se situe. Au nom de quel groupe on tient parfois des propos dont on ignore le sens profond. Une chose est sûre, c’est qu’il faut faire des concessions, et pour rester sociable, accepter de vivre dans l’hyperréalité, et les dogmes de l’intelligentsia. C’est le gage qu’on se trouve bien parmi les hommes, nos semblables. C’est peut être ça la réalité qu’on dissocie de l’imaginaire. La quête de l’idéalisme est justement de ramener chaque être à sa pensée ou à sa conscience, en laissant de côté tout l’artifice du monde réel. En quelque sorte c’est un autre monde, celui des idées.

1- http://fr.wikipedia.org/wiki/George_Berkeley

2- La simulation de quelque chose qui n’a jamais réellement existé – Jean Baudrillard

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Il me semble que vous n'avez pas bien compris ce que dit Baudrillard. La société n'a pas fait le choix de l'hyperréalité dans le but d'avoir une réalité commune comme vous le dîtes dans cet article. Ce n'est même pas un choix, c'est un mécanisme inconscient. Le but n'est pas d'avoir la même réalité que tout le monde, mais de jouir de divers "stimuli simulés" (pour reprendre l'expression de Baudrillard) en calquant ses actions sur des représentations qu'on juge plaisantes (Guy Debord dirait peut-être : des représentations qui permettent de parler le langage de la séparation généralisé).

Baudrillard disait que "Le réel ne disparaît pas dans l'illusion, c'est l'illusion qui disparaît dans la réalité intégrale". En effet, la réalité (ou plutôt une représentation de la réalité) est partout : même seul chez soi on peut assister, via la télé, à des milliers d'événements et de situations. Le monde n'est plus un mystère, les illusions disparaissent. Même un film au cinéma nous présente une fiction... décrite et présentée comme réelle, et perçue comme telle par l'inconscient, car les scènes semblent vraies. À force d'être bombardés en permanence par des représentations de la réalité (pas forcément via des images, comme dirait Guy Debord dont le travail tourne autour de ces mêmes sujets), la représentation d'une situation prend le pas sur la situation concrète directement vécue. Debord disait "tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation". Sans qu'on en ait conscience.

Il ne s'agit pas du tout du concept de subjectivité de la réalité, pas du tout !

Un exemple simple : avant le monde hyperréel, on était écrivain parce qu'on écrivait des choses intelligentes. De nos jours, on écrit des choses intelligentes... parce qu'on est écrivain. Ça se remarque dans nombre de livres d'écrivains à la mode qui essaient de coller à la représentation qu'ils ont de l'écrivain talentueux. Lorsqu'on a pas cette représentation en tête, on agit sans biais inconscient. Lorsqu'on l'a et qu'on essaie d'y coller, on fait du travail d'acteur.

Autre exemple : un touriste qui visite Paris n'ira voir pratiquement que des choses qui ne constituent pas Paris mais sont des représentations de l'image de Paris. Il visitera l'héritage du passé érigé en musée (donc en image) comme le Louvre. Mais tout ça n'a plus rien à voir avec le Paris qui existe actuellement. Il n'aura donc pas visité une ville mais un parc d'attraction. L'attraction Louvre, l'attraction Tour Eiffel, et toutes les autres. Sur lesquelles il n'y a que des touristes, et non pas des gens qui vivent leur vie dans leur lieu de vie. Le vrai Paris, maintenant, est comme Londres ou Berlin. C'est une ville moderne et consumériste avec architecture en béton pas cher. Le parisien moyen remplit son appart avec des meubles Ikéa, comme le berlinois ou le londonien.

Autre exemple : critiquer les gens désignés par le système comme étant critiquables, tel Georges Bush. La réalité serait d'être offusqué par le personnage et de le critiquer par rejet. L'hyperréalité, c'est de le critiquer pour s'intégrer à la représentation des gens qui ont du recul et savent discerner qui sont les bons hommes politiques et les mauvais. Alors Bush n'est plus qu'un prétexte, un outil, et c'est même mieux qu'il existe car on peut se servir de cet outil (ce langage dirait Debord) pour paraître meilleur. C'est le monde à l'envers : on prétend détester quelque chose alors qu'en fait on a besoin de cette chose et on veut s'en servir. C'est vouloir s'intégrer à une partie de la société qui se représente elle-même comme meilleure que le reste du monde (c'est ce que dit Debord). Et cette partie qui se croit au-dessus des autres s'est fabriqué elle-même en utilisant toutes les représentations dont on est abreuvés. Bref tout ça est du vent.

Et plus on prend conscience de tout ça, plus on constate que la réalité, il n'en reste plus grand chose. Difficile de passer une journée sans accumuler des dizaines d'exemples d'hyperréalité. C'est partout et tout le temps. C'est déprimant, et c'est déprimant aussi de constater qu'on y échappe difficilement soi-même.

Edouard Kenway a dit…

Merci pour votre commentaire.
En effet vous précisez très bien la pensée de Baudrillard. En reprenant le terme "hyperréalité" je n'ai pu m'empêcher de citer sa référence. Mais il est vrai que j'entendais ce terme plus au sens de Berkeleley qui imagine une entité supérieur imposant une perception commune à tous les esprits.
Merci pour votre précision.